lundi 24 septembre 2012

Chanson de migrant « I Ain't Gonna Be Treated This-a Way », Warde H. Ford, enregistrée le 27 décembre 1938 par Sidney Robertson, Central Valley, Californie.

Pour des raisons techniques, je ne vais pas pouvoir présenter la chanson «  We shall not be moved » comme annoncé dans le post précédent. A la place, je vous propose de découvrir une chanson très bien connue des amateurs de folk music américaine : «  I ain't gonna be treated this-a way », également connue sous les titres « I'm goin' down this road feelin' bad » et « Lonesome road blues ». Il s’agit d’un morceau chanté par les migrants depuis plus d’un siècle le long des routes américaines, qui conte leur espoir de trouver la terre promise, un pays ou “ l’eau a le gout de vin".
Sidney Robertson n'est ni la seule, ni la première à enregistrer ce chant, Robert B. Waltz et David G. Engle dénombrent 38 enregistrements de cette chanson, la première version par Henry Whitter datant de 1923 a été enregistrée par le label Okeh (The Ballad Index, 2012 ). Comme pour beaucoup de folk songs l'auteur est inconnu et il existe de nombreuses versions. Cette chanson a été interprétée par plusieurs folk singers et blues men célèbres dont Bascom Lamar Lunsford, Fiddlin' John Carson, Big Bill Broonzy et bien sûr, Woody Guthrie.

Contexte d'enregistrement

Sidney enregistre cette chanson le 27 décembre 1938 à Shasta Dam, dans la région de San Francisco. L'interprète se nomme Warde Ford et fait partie d'une famille chantante dont le répertoire s'étend des ballades Childiennes traditionnelles aux chansons de migrants plus récentes en passant par les longues ballades contant des événements historiques. Lui et la collectrice se sont rencontrés dans le Wisconsin en 1937. Depuis il a déménagé en Californie où il travaille dans le grand chantier du bassin de retenu de Shasta Dam ( chantier public lancé en 1937 ).
Robertson réalise cet enregistrement dans le cadre du projet de collecte en Californie du Nord dont elle est l'instigatrice et qu'elle dirige pendant plus d'un an et demi, entre octobre 1938 et mars 1940. Ce projet, qui permet l'embauche d'une vingtaine de personnes au chômage, s'inscrit dans le cadre de la politique réformatrice du New Deal et est co-sponsorisé par l'université de Berkeley, la bibliothèque du Congrès et la Work Progress Administration (qui paye le salaire des employés dont celui de Sidney Robertson). L'objectif de ce projet est de réaliser une collection exhaustive de toutes les musiques folk pratiquées dans le nord de la Californie (excluant néanmoins les musiques venues d'Asie et les musiques des Africains-Américains et des Natifs-Américains). La collection a été ensuite archivée dans l'Archive of American Folk Song de la bibliothèque du Congrès et à l'université de Berkeley mettant ainsi à la disposition des chercheurs les enregistrements de plus de 800 chansons issues des traditions de seize groupes ethniques différents vivant en Californie du Nord ( Anglo-saxon, Arménien, Assyrien, Basque, Croate, Finlandais, Hongrois, Islandais, Italien, Mexicain, Norvégien, Portugais, Porto Ricain, Russe, Écossais, et Espagnol). En plus des enregistrements, la collection comprend d'autres matériaux de recherches tels que des photographies, des dessins des instruments de musique rencontrés, des notes de terrain très riches, et la transcription et traduction d'une partie des paroles des chansons. (cf: http://lcweb2.loc.gov/ammem/afccchtml/cowhome.html)


Pour écouter l'interprétation de Warde Ford c'est ici :

http://memory.loc.gov/afc/afccc/audio/a420/a4206a2.mp3


Traduction des paroles :

«  Je descends de cette route et j'me sens mal,
Je descends de cette route et j'me sens mal,
Je descends de cette route et j'me sens mal,
Mais je n'serai plus traité de cette façon. 

Où ils me nourrisse avec du pain de maïs et du fromage, seigneur,
Où ils me nourrisse avec du pain de maïs et du fromage,
Où ils me nourrisse avec du pain de maïs et du fromage,
Mais je n'serai plus traité de cette façon. 

J'vais là où ce vent gelé ne souffle jamais, seigneur,
J'vais là où ce vent gelé ne souffle jamais,
J'vais là où ce vent gelé ne souffle jamais,
Mais je n'serai plus traité de cette façon. 

J'vais là où le climat sèche mes vêtements, seigneur,
J'vais là où le climat sèche mes vêtements,
J'vais là où le climat sèche mes vêtements,
Mais je n'serai plus traité de cette façon. »


Cette chanson est interprétée sans accompagnement musical, ce qui est assez habituel dans les collections des années 1930, d'une part parce qu'il était très difficile d'enregistrer les instruments de musiques ( même si on trouve quand même des chants accompagnés à la guitare, au violon ou au banjo) et d'autre part parce qu'il s'agissait d'une forme jugée plus authentique, l'accompagnement musical étant considérée par certains collecteurs comme une marque de modernité. On verra que Sidney Robertson n'est pas vraiment partisane de cette vision puriste, néanmoins beaucoup de ses enregistrements sont uniquement vocaux.
La structure en AAAB des paroles se rapproche de la forme d'un blues, il n'y a pas de refrain mais seulement quatre couplets chantés sur la même grille d'accord pentatonique. Sidney Robertson note que cette version est différente de celle chantée dans le sud des États-Unis où «  du pain de maïs et du fromage » est remplacé par « du pain de maïs et des haricots ».


/// Une chanson qui illustre les préoccupations de son temps:
« I'm Goin' Down This Road Feelin' Bad » et la Dust Bowl Migration


Les notes de Robertson sur le disque donnent quelques indications sur l’histoire de cette chanson,:
apprise dans le Wisconsin d’un habitant du Kentucky. Des variantes de cette chanson ont été chantées durant soixante-dix ans sur les routes en direction de l'Ouest en Amérique. Depuis 1933, elle est devenue la chanson des familles migrantes tractées hors du Texas, poussées hors de l'Oklahoma par la poussière, et de l'Arkansas par les inondations."
Robertson fait ici référence aux fermiers désargentés poussés à migrer vers la Californie suite à une série de désastres qui frappent les Grandes Plaines dans les années 1930. La baisse des prix agricoles, l’effondrement du système financier et les catastrophes écologiques sont à l’origine de cette vaste migration de plus de 300 000 familles, attirées par les annonces promotionnelles dépeignant une Californie mythique. Cet épisode de l’histoire américaine a marqué durablement les mémoires car il renvoie au caractère illusoire de ses mythes fondateurs. L’image de l’Amérique et en particulier de la Californie, comme Land of Hope offrant une seconde chance aux nouveaux arrivants d’atteindre le bonheur matériel et spirituel est mis à mal par ce que l’on appelle communément la Dust Bowl Migration, en référence aux tempêtes de poussières qui ravagèrent une partie des Grandes Plaines à cette époque. Cette fois-ci, les migrants ne partent pas pour la Californie dans l’espoir de faire fortune, comme lors de la Ruée vers l’Or des années 1840, mais par désespoir et dans l’unique but de survire aux affres de la Grande Dépression.
A leur arrivée en Californie, les migrants Okies ( diminutif pour Oklahomans, au départ péjoratif, puis utilisé par les Okies eux-même comme forme d’affirmation identitaire) sont victimes d’une violente campagne xénophobe dénonçant l’aide que leur apporte le gouvernement fédéral, en particulier les campements installés par le ministère de l'agriculture dans les vallées agricoles de Californie pour les accueillir dans des conditions humaines ( abris en dur, sanitaire, infirmerie, activités culturelles etc...). Les discours des anti-Okies s’appuient sur une dialectique xénophobe: les Okies seraient incultes, violents, voir criminels et leur manque d’hygiène risquerait de favoriser l’apparition d’épidémies. Pour limiter la prolifération de ces pauvres White Trash qui volent le boulot des honnêtes gens, certains vont jusqu’à proposer des solutions eugénistes aberrantes comme la stérilisation systématique des nouveaux migrants ! Les patrons des grandes exploitations agricoles quant à eux, voient les Okies comme une main d'œuvre qui doit rester bon marché, et pour prévenir toute tentative de contestation embauchent ce que l’on appelle des vigilants, homme armés chargés de maintenir l’ordre dans les factories in the field (usines des champs).
Face à cette situation intenable, une série d’intellectuels et d’artistes décident de soutenir les familles migrantes en témoignant de leur profonde détresse. Il en résulte une série de créations artistiques prenant fait et cause pour les Okies. Parmi les plus célèbres ont peut mentionner le roman de John Steinbeck, Les raisins de la colère, les photographies de Dorothea Lange, en particulier sa “ Migrant Mother” et les Dust Bowl Songs de Woody Guthrie.




Cette photographie prise en 1936 par Dorothea Lange est sans doute le plus célèbre cliché réalisé dans le cadre des campagnes photographique de la Farm Security Administration, dirigée par Roy Striker. Dans sa thèse, Jean Kempf nous apprend que Lange a demandé aux figurants de ne pas sourire et a volontairement exclus le père de famille et la jeune adolescente de la photographie pour accentuer la détresse de la mère migrante.


Il semble important de noter que ces œuvres en faveur des Okies, ne sont pas pour autant vierges de stéréotypes, ainsi Steinbeck dépeint les Okies comme des êtres un peu simplets et Dorothea Lange, par une mise en scène très poussée, accentue les signes de leur détresse, créant ainsi une version mythique et misérabiliste de la migration. Notons aussi que ces œuvres occultent complétement le sort des saisonniers mexicains renvoyés chez eux à l’arrivée des migrants WASP ( White Anglo-Saxon Protestant) et des travailleurs agricoles africains-américains qui n’étaient pas acceptés dans la plupart des campements gouvernementaux et dont les conditions de vie, de ce fait, étaient encore plus rudes.

La musique a joué un rôle central dans la quête identitaire du groupe Okie, qui bien que ne faisant pas partie d'une minorité ethnique, religieuse ou raciale s'est retrouvé au ban de la société dans les années 1930.La sous-culture Okie est encore très vivante dans les années 1960: 

"Okie From Muskogee" de Merle Haggard:
http://www.youtube.com/watch?v=3UZUJQ5i8gk

Après les années 1940, les Okies sont repassés du côté des dominants en même temps que leur revenus ont augmenté ( grâce à l'industrie de l'armement). Certains historiens ont souligné le revirement idéologique très conservateur des descendant des Okies. Cette chanson en témoigne. ( Même si cet aspect de l'histoire culturelle de la migration n'est pas exactement le sujet de l'article, je ne résiste pas à mettre en lien cette pépite!)

Alors que l'ultra conservateur chanteur country Merle Haggard chantait en 1969 dans sa chanson Okie From Muskogee » «  Nous on ne fume pas de Marijuana à Muskogee, on ne prend pas de trip au LSD, (…) On ne laisse pas pousser nos cheveux longs et hirsutes comme les hippy », dans les années 1930, le ton était tout autre, en témoigne les chansons de Woody Guthrie, le « Okie Troubadour » considéré comme le premier protest singer et comptant de nombreux fans dont Bob Dylan, Joan Baez ou Bruce Springsteen. Comme le souligne Martin Butler : «  Les chansons de Guthrie sur la Grande Dépression, en particulier celle sur le Dust Bowl et la migration des fermiers du Sud Ouest en Californie, sont toujours en vogue aujourd'hui et n'ont pas perdu leur attrait. » Né en Oklahoma en 1912, Guthrie quitte Pampa au milieu des années 1930 pour la Californie, où il assiste à l'arrivée massive de milliers de familles désespérées et sans le sou. Guthrie, qui avait l'habitude de dire que les chansons ne font pas l'histoire, mais que l'histoire fait les chansons, a dénoncé dans ses Dust Bowl Ballads l'oppression des petits fermiers, les inégalités sociales, les haines raciales, et le caractère illusoire du rêve Californien. Une de ses Dust Bowl Ballads n'est autre qu'une version adaptée au climat des années 1930 de « Goin Down This Road Fellin' Bad », qu'il transforme en «  Blowin' Down This Road », en référence aux tempêtes de poussières.

" Blowin Down This Road", Woody Guthrie
http://www.youtube.com/watch?v=bMgwAE1oxdU
 
Il est intéressant de voir comment Guthrie adapte les standards de la musique folk au désastre de la Dust Bowl Migration, notamment en remplaçant le verbe «Goin'» par le verbe «Blowin'», faisant ainsi référence aux tempêtes de poussières.
Bon nombre de folkloristes auraient qualifié d'hérésie une telle prise de liberté avec le texte original. A l'origine, le travail du collecteur était d'inhumer la version la plus ancienne et donc la plus authentique d'une chanson. Mais progressivement dans les années 1930, les folkloristes se détachent de cette approche dite antiquaire, pour porter leur attention au contexte social d'interprétation. La valeur d'une chanson n'est plus rapportée à son ancienneté, mais à son usage, à sa portée sociale et culturelle. Ainsi, alors que le sort des Okies occupe le devant de la scène médiatique, plusieurs folkloristes, à l'instar de Charles L. Todd, Robert Sonkin, Margaret Valiant et Sidney Robertson se rendent dans les camps de la FSA ( Farm Security Administration) pour enregistrer les chansons que les Okies ont amenés avec eux en Californie. Ces campagnes de collectes étaient un moyen efficace pour redorer la réputation de ces derniers, et par la même occasion, vanter les programmes d'aide du ministère de l'agriculture. Mais elles témoignent aussi de cette nouvelle approche anthropologique, qui pousse les folkloristes à s'intéresser à des chansons auparavant méprisées par leurs pairs. Le cas Robertson est exemplaire de se tournant dans la discipline folklorique. Une chanson comme « Goin Down This Road Feelin' Bad », lui offre l'opportunité de créer un témoignage, de laisser une trace des événements causés par la Grande Dépression. Même si Warde Ford, l'interprète de cette chanson n'est pas un travailleur agricole migrant, elle saisit l'occasion dans son article « The Recording of Folk Music in California », (California Folklore Quarterly, vol 1, N1, janvier 1942) de parler de la musique que les migrants ont apporté avec eux en Californie : « l'influx présent des familles venant des régions désertiques et du Dust Bowl ajoutent aujourd'hui de nouveaux éléments à la culture folk de l'État. ». Loin de dénigrer les chansons que les migrants ont adaptés des standards pour témoigner des vicissitudes de leur expérience, elle les inclut dans ses recherches : « Aujourd'hui des chansons similaires sont trouvées dans les camps de travailleurs migrants des vallées de Californie, arrangées des mélodies largement connues d'origine folk et populaire. Elles rendent compte des expériences de l'auteur de ballade dans sa migration de la région du Dust Bowl à la Calfornie. ».

Il est intéressant de réfléchir à la position de Sidney Robertson face à ce contexte politique et social déroutant. Quelles sont ses convictions politiques ? Est-elle engagée en faveur des Okies, comme certains de ses camarades travaillant pour le gouvernement fédéral ? Dans ses notes de terrain on pourrait regretter le fait qu'elle dise rien sur les aspects révoltant de cette migration, ni ne dénonce, par exemple, le comportement des grands propriétaires agricoles. Néanmoins, il me semble que la présence de cette chanson dans sa collection est une preuve de sa volonté de témoigner, de laisser une trace de l’histoire de cette migration. Ce qui est surprenant, c’est que contrairement à Margaret Valiant ou Charles Todd et Robert Sonkin, trois collecteurs qui ont enregistré des chansons de migrants dans les campements fédéraux de Californie, Robertson n’enregistre pas la version d’un migrant Okie venant des Grandes Plaines du Sud Ouest, mais celle d’un homme originaire du Wisconsin, qui a appris cette chanson d’un homme du Kentucky. Le fait que contrairement aux autres collecteurs elle ne se soit pas cantonnée à collecter dans les camps de migrants mais qu'elle ait aussi enregistré d'autres groupes que les Okies, prouve que son approche, avant d'être militante, est surtout académique et vise l'exhaustivité.

/// Sa philosophie de collecte

Faire l'histoire de l'enregistrement de ce chant de migrant permet aussi de s'interroger sur les méthodes de terrain de la folkloriste et sur sa philosophie de collecte. « Ain't gonna be treated this-a way » est une des 105 chansons que Warde Ford a interprété pour Sidney Robertson. La collectrice a rencontré Warde, et son frère Pat que l'on peut également entendre dans plusieurs enregistrements, deux ans auparavant dans le Wisconsin alors qu'elle occupait un poste d'administratrice dans les communautés de travailleurs de la Resettlement Administration. C'est ainsi qu'elle rend compte de leur première rencontre :
« Je ne peux résister à mentionner ma première rencontre avec Warde Ford, à l'époque où il travaillait encore pour un entrepreneur de pompes funèbres dans le Wisconsin. Il me demanda si je voulais aller avec lui dans une ville voisine sans préciser que le seul moyen de transport était une grande voiture mortuaire. J'ai accepté car il n'y a pas de meilleur moment pour persuader un chanteur de se rappeler son répertoire que lors d'un long voyage..... »
Dans ses notes de terrain elle explique que les deux frères:
« (...) font partie d'une grande famille chantante originaire du Wisconsin que j'ai étudiée pendant plusieurs années. Je possède à présent environ 150 chansons glanées auprès d'eux. La plupart n'avait jamais été enregistrée jusqu'à ce que je retrouve une partie de la famille dans le camp de construction de Shasta Dam. »


Warde Ford le 3 septembre 1939 à Shasta Dam, Californie




Warde, Pat Ford et ses enfants à Shasta Dam, 3 septembre 1939



Les notes laissées par Sidney témoignent de la nature singulière des relations qu'elle entretient avec ses interprètes. Non seulement elle réalise un travail de longue haleine en suivant les membres d'une même famille sur plusieurs années et dans différents États, mais en plus elle instaure un type de relation tourné vers la coopération, bien loin de l'approche paternaliste, voire condescendante, de certains de ses collègues collecteurs. Ainsi, elle salut l'effort des membres de la famille Ford, qui ont transcrit pour elle plusieurs textes de chansons :
« S'il a été possible de récupérer autant de chansons en si peu de temps c'est grâce au travail préliminaire effectué il y a un an dans le Wisconsin et aux efforts des membre de la famille Ford dans le Wisconsin et en Californie à transcrire les textes des chansons à partir de leur mémoire collective. »
Cela peut sembler anodin, et pourtant le problème de la relation collecteur/interprète est une question centrale dans l’étude du «champ folklorique». Il faut savoir que tous les collecteurs ne sont pas aussi respectueux du travail réalisé par les musiciens. John Lomax par exemple manquait souvent de tact, et savait se montrer pressant lorsqu’il s’agissait d’amener les chanteurs à interpréter ce qu’il attendait d’eux. Ainsi, la chanteuse folk Emma Dusenbury a confié à Robertson ses ressentiments à l’égard du collecteur qui refusait d’enregistrer certaines de ses chansons car elles ne lui semblaient pas assez authentiques. (collection SRC , boîte 6,bibliothèque du Congrès). Le comportement du collecteur vis a vis des interprètes a souvent des répercutions importantes sur le résultat de leur campagne d’enregistrement. Plusieurs historiens ont pointé du doigt la tendance de Lomax à n'enregistrer que ce qui avait valeur à ses yeux d'« authenticité » et de « pureté ». Ainsi, alors qu'il est à l'époque le grand spécialiste des musiques Noires, on ne trouve dans ses collections aucun enregistrement de morceaux jazz ni même de Spirituals. Pour Lomax, les Spirituals et les morceaux de Jazz ne valent pas la peine d'être sauvegardés car ils ont déjà été « contaminés » par la musique populaire blanche. Il s'agit là d'une approche évolutionniste que rejette notre collectrice, qui s'attache au contraire, comme elle le revendique dans bon nombre de ses écrits, à mener son travail de terrain de la manière la plus objective que possible. Pourtant, elle opère également des sélections. L'absence de musique afro-americaines, de chants indiens, ou encore de mélodies chinoises ou japonaises, alors que ces groupes sont très présents en Californie est notable. Plusieurs raisons expliquent ces absences, mais ce sera l'objet d'un prochain article.


BIBLIOGRAPHIE

Sources

Library of Congress, American Folklife Center, WPA Sidney Robertson Cowell Collection

Library of Congress, Music Division, Sidney Robertson Cowell Collection

Travaux

BENDIX, Regina, In Search of Authenticity : The Formation of Folklore Studies, University of Wisconsin Press, Madison, 1997

BUTLER, Martin, Voices of the Down and Out: the Dust Bowl Migration and the Great Depression in the songs of Woody Guthrie, Heidelberg, Winter, 2007
COHEN, Ronald D., Rainbow Quest: The Folk Music Revival and American Society, University of massachusetts Press, Amherst, 2002

CRAY, Ed, Ramblin' Man: the life and times of Woody Guthrie, W.W.Norton, London, New York, 2006

FILENE, Benjamin, Romancing the Folk, Public Memory and American Roots Music, The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2000

GOUGH, Peter L., ""The Varied carols I hear": The music of the New Deal in the West" (2009)UNLV Theses/Dissertations/Professional Papers/Capstones. Paper 99

HIEBERT KERST, Catherine, «Sidney Robertson Cowell and the WPA Northern California Music Project», Sonneck Society Bulletin, Vol XX, N°3, 1994

HIEBERT KERST, Catherine, «Outsinging the Gas Tank: Sidney Robertson Cowell and the California Folk Music Project», Folklife Center News, Vol XX, N°1, 1998

JACQUIN, Philippe, Go west!: histoire de l'ouest américain d'hier à aujourd'hui, Flammarion, Paris, 2004

KEMPF Jean, L'œuvre photographique de la Farm Security Administration, Dissertation non publiée, Université Lyon 2, 1988

LACHAPPELLE Peter, Proud to Be an Okie: Cultural Politics, Country Music, and Migration to Southern California, University of California Press, 2007

MULLEN, Patrick B., The Man Who Adores the Negro: Race and American Folklore, University of Illinois Press, Urbana, 2008