Salut ! Il y a presque un an, fin novembre 2020, une grande nouvelle est tombée : ma candidature au Jon B. Lovelace Fellowship du Kluge Center (Bibliothèque du Congrès), que j'avais soumise avec culot et sans grand espoir étant donné le prestige de cette bourse de recherche, a été retenue par le jury. Ô joie ! Ô Bonheur !
Cette boure est dédiée à l'étude de la collection Alan Lomax de la Bibliothèque du Congrès et est attribuée à un chercheur chaque année.
Après plusieurs mois d'attente (attente des évolutions de la crise sanitaire et de son corollaire : la réouverture des frontières américaines et la possibilité de faire une demande de visa) j'ai enfin obtenu l'autorisation de voyager et travailler aux EU début septembre et je peux donc maintenant annoncer officiellement la nouvelle et partager sur ce blog les détails du projet de recherche sur lequel je vais travailler à partir de décembre à la Bibliothèque du Congrès.
Voici donc une traduction en français du projet que j'avais soumis au Kluge Center en mars 2020 (et la VO en dessous) et avant quelques remerciements :
Les lettres de recommandations que Sara Le Menestrel, Catherine H. Kerst et James P. Leary ont bien voulu ajouter à mon dossier ont certainement joué un rôle crucial dans le choix du jury. Merci beaucoup à eux pour leur soutien :-)
Bien sûr, mille merci à Yves Dorémieux qui m'a grandement aidé à constituer le dossier et qui sera à Washington avec moi, en tant qu'"assistant de recherche" -- autrement dit grouillot -- et qui continuera de m'aider à dépouiller les sources et à échanger sur cette recherche (et qui me laissera lui écrabouiller la main lors du décollage de l'avion que j'appréhende tant !).Enfin, un immense merci à l'équipe du Kluge Center de m'accueillir pendant huit mois pour mener à bien cette recherche et pour leur assistance dans la préparation administrative du séjour !!
Les enregistrements de musiques francophones d’Alan Lomax dans l’Indiana et le Michigan (1938) : matériaux, portée et contexte.
Ce projet de recherche est consacré à l’étude des enregistrements de terrain de musiciens francophones réalisés par Alan Lomax dans l’Indiana et le Michigan. En avril 1938, Alan Lomax, alors Assistant in Charge de l’Archive of American Folk Song de la Bibliothèque du Congrès, et sa femme Elizabeth Lyttleton enregistrèrent dix-huit chants en langue française à Vincennes et à Fort Wayne dans l’Indiana, principalement ceux de l’octogénaire Josephine Caney.
Six mois plus tard, Lomax enregistra quarante et un disques (environ six heures de musique) et produit un film documentant les communautés franco-canadiennes de Baraga et de Champion, Michigan. Cette collection inclut des morceaux au violon et des chants a capela ou accompagnés de podorythmie interprétés par des descendants de fermiers québécois et de bûcherons installés dans la péninsule du Michigan dans les années 1870 (Leary, 2015).
Si les collectes d’Alan Lomax de musiques francophones en Louisiane (1934) et dans les Caraïbes (1936-1937) ont été le sujet d’études détaillées (Caffery, 2013 ; Averill, 2008), les matériaux qu’il a collecté dans l’Indiana et le Michigan n’ont été que très peu étudiés. Ce projet vise à combler cette lacune tout en s’appuyant sur les travaux antérieurs de Todd Harvey et James P. Leary qui ont tous deux étudiés l’expédition de Lomax dans le Michigan – Leary ayant notamment déjà transcrit, traduit, édité et étudié six des morceaux collectés par Lomax et a fait des recherches sur les biographies des interprètes (Harvey, 2013 ; Leary, 2015).
La première étape de ce projet sera d’étudier les enregistrements sonores et les films de Lomax, de transcrire et traduire les paroles des chants et de rechercher des variantes de ceux-ci dans les catalogues de référence de chants traditionnels français et québécois (principalement les catalogues Coirault et Laforte). L’un des objectifs sera de déterminer comment les chants voyagent avec les chanteurs, et si de nouveaux chants ont été créés. Une étude comparative des chants collectés par Alan Lomax dans l’Indiana et le Michigan, ainsi que des collections de chants francophones et wallons réalisées par la collectrice Helen Stratman-Thomas au début des années 1940, avec des variantes de Louisiane, du Québec ou de France pourrait produire des données intéressantes pour l’étude des processus d’acculturation et de transferts culturels.
La deuxième étape de ces recherches consistera à étudier le contexte historique de ces collectes de musiques francophones à commencer par les expéditions de Lomax dans lesquels ces séances d’enregistrement s’insèrent. Les campagnes d’enregistrement de Lomax dans l’Ohio et l’Indiana, puis dans le Michigan, couvrent une grande variété de cultures musicales du point de vue ethnique et linguistique. Les régions couvertes par ces deux expéditions ont de plus été relativement négligées par les autres collecteurs de folk music. Mis à part les enregistrements d’un violoniste franco-canadien par Sidney Robertson en 1937 dans le Wisconsin, Lomax fut le premier collecteur à documenter sur disque la folk music franco-américaine du Nord des États-Unis. Son intérêt pour les musiques dites ethniques – c’est à dire des musiques non-anglo-américaines, hispaniques, africaines-américaines ou amérindiennes – s’inscrit dans la nouvelle tendance des collecteurs de l’époque du New Deal à considérer la folk music comme une catégorie musicale devant inclure les musiques des immigrants récents. Cette représentation moderne et dynamique de la folk music tranche avec les représentations de leur prédécesseurs, les folkloristes littéraires dits « antiquaires » et leur conceptions anglo-centrées de la folk music.
Si les musiques francophones du Nord des États-Unis sont un terrain relativement négligé par les chercheurs, le travail d’Alan Lomax n’est pas totalement isolé. D’autres collecteurs s’intéressent à ce terrain, notamment Helen Stratman Thomas et son équipe qui collectent des musiques franco-canadiennes et wallones en 1940, 1941 et 1946 pour le compte de l’université du Wisconsin. Lomax est également en contact avec le folkloriste Joseph Médard Carrière et la professeur de musique Cecilia Ray Berry, dont l’ouvrage Folk Songs of Old Vincennes (1946) contient des chants de Josephine Caney.
Les travaux de Lomax sur les musiques francophones de l’Indiana et du Michigan devraient également être mis en perspective avec son intérêt plus large pour les musiques d’autres régions francophones : la Louisiane, le Québec, les Caraïbes et la France. On cherchera à déterminer si, plus tard dans sa carrière, il fait à nouveau référence à ses collectes dans le Nord des États-Unis et s’il les compare ou non avec les autres matériaux francophones qu’il a recueilli. On s’interrogera par exemple sur son choix d’enregistrer de nouveaux chants à Montréal pour son émission de radio diffusée sur CBS en 1941 et dédiée aux « voyageurs songs » alors qu’il aurait pu utiliser les matériaux de ses collectes de 1938 dont certains documentent l’ancien fort français de Vincennes dont il discute pourtant dans son émission. Si Lomax a su percevoir l’importance de préserver les lambeaux de francophonie des anciens Pays d’en Haut, ces derniers n’ont pu qu’être éclipsés par les cultures musicales riches et vivantes du Québec et de la Louisiane.
Enfin, ce projet de recherche pourrait s’étendre à une étude comparative entre les méthodes de collecte de Lomax et celles d’autres spécialistes des folklores francophones d’Amérique du Nord. Par exemple, en 1946, l’anthropologue française Ariane De Félice à collecté des contes en français en Louisiane, dans le Michigan et en Nouvelle-Angleterre pour le compte du Musée des arts et traditions populaires de Paris. De Félice et Lomax se sont rencontrés à l’université de Bloomington dans l’Indiana à l’occasion du Second Folklore Institute. Il s’agira de rechercher des traces des échanges qu’il ont pu avoir, mais aussi de comparer le type de matériaux qu’ils ont collectés, d’analyser leurs méthodes et la manière dont ils conçoivent ces matériaux en fonction de leurs approches épistémologiques respectives.
À partir des années 1950, Lomax va fréquemment travailler avec des chercheurs français. Son association avec le Musée des arts et traditions populaires et le Musée de l’homme où il travaille plusieurs mois avec Claudie Marcel Dubois et Gilbert Rouget a du avoir un impact sur ses représentations des musiques francophones. Une étude du travail en commun de Lomax, Marcel Dubois et Rouget sur les musiques francophones pourrait enrichir notre compréhension des échanges en folkloristique entre les France et les États-Unis.
En dépit d’un intérêt grandissant pour l’histoire et la culture des populations francophones du Nord des États-Unis, en particulier de la part de l’American Folklife Center1, les collectes d’Alan Lomax dans l’Indiana et le Michigan restent relativement méconnues des spécialistes et du grand public. Les matériaux de l’enquête dans le Michigan sont disponibles en ligne, mais ceux d’Indiana n’ont pas encore été numérisés. Une présentation en ligne contenant des copies numériques des enregistrements de Lomax et des informations contextuelles les concernant pourrait contribuer et encourager d’autres recherches, et populariser ces matériaux.
Ce travail pourrait également constituer une étape préliminaire nécessaire vers l'édition de certains de ces documents pour publication si l'Association for Cultural Equity / ACE et l'American Folklife Center souhaitent les inclure dans des anthologies destinées au grand public.
Le travail d'Alan Lomax vit toujours parmi les chanteurs et musiciens de divers pays et cultures. Dans le prolongement de cette recherche académique, je voudrais également contribuer à cet héritage en tant que musicienne en adaptant et en interprétant ces chansons pour un public américain comme français.
1Par exemple grâce au Maine Acadian Cultural Survey de 1991 et à l’organisation des concerts de Daniel Boucher and Friends en 2011 et de Denis Stroughmatt French Creole of Mississippi en 2012.
The Alan Lomax 1938 french folk music recordings in Indiana and Michigan: materials, scope and context.
This research project aims to study Alan Lomax field recordings of French-speaking musicians in Indiana and Michigan. It shall also extend
In April 1938, recently appointed Assistant in Charge of the Archive of American Folk Song Alan Lomax and his wife Elizabeth Lyttleton recorded 18 French-language songs in Vincennes and Fort Wayne Indiana, mainly from the octogenarian Josephine Caney.
Six months later, Lomax recorded 41 disks (about 6 hours of music) and produced film footage documenting Michigan’s French Canadian communities in Baraga and Champion. This collection includes fiddling, foot percussion, and a cappella songs by descendants of Quebecois farmers and lumberjacks who settled in Michigan’s Upper Peninsula in the 1870’s (Leary, 2015).
While Alan Lomax’s documentation of French-speaking musicians in Louisiana (1934) and in the Caribbeans (1936-1937) have been the subject of in-depth studies (Caffery, 2013 ; Averill, 2008), the materials he gathered in Indiana and in Michigan have been less studied. This project intends to fill this gap while drawing from previous works of Todd Harvey and James P. Leary, who both studied Alan Lomax’s 1938 Michigan expedition, and for the latter already transcribed, translated, edited and studied a small portion of the French materials and researched the biographies of the performers (Harvey, 2013; Leary, 2015).
The first stage of this project would be to study the recordings and film footage, to transcribe and translate all the songs’ lyrics, and to research variants in reference catalogs of French and Canadian folk music (mainly the Coirault and the Laforte catalogs) in order to determine how the songs travel with the singers, and if new materials were added. A comparative study of the Indiana, and Michigan songs with variants from Quebec and France could produce interesting data for the study of acculturation and cultural transfer.
Obviously, as a second stage, the historical context of the Alan Lomax recordings of French-speaking musicians in Indiana and Michigan needs to be examined properly, beginning with the overall expeditions of which they are a part. The Ohio/Indiana and the Michigan expeditions both cover a wide range of ethnically diverse musical cultures in regions relatively neglected by previous folk music collectors. Apart from Sidney Robertson’s 1937 field recordings of French-Canadian fiddler Leizime Brusoe in Rhinelander, Wisconsin, Lomax was the first collector to document on disks French-American folk music from Northern United-States. His interest in so-called ethnic folk music – that is to say non-Anglo, Spanish, African American or Native-American musics – fits into New Deal era folk music collectors’ tendency to see folk music as a modern and dynamic cultural form that thus includes music of recent immigrants as opposed to previous antiquarian and more anglo-centric conceptions of folk music.
Alan Lomax’s pioneering field recordings of Northern United-States’ ethnic folk music was instrumental in bringing to light these neglected traditions. He encouraged and reviewed Helen Stratman Thomas and her team’s 1940, 1941 and 1946 expeditions in Wisconsin on behalf of the Wisconsin University which resulted in the recordings of French-Canadian and Walloon music (among many other ethnic traditions). He was also in touch with local researchers folklorist Joseph Médard Carrière and music teacher Cecilia Ray Berry whose published book Folk Songs of Old Vincennes (1946) features songs by Josephine Caney1.
Lomax’s work with French-language materials in Indiana, and Michigan should also be put in perspective with his broader interest for French-language materials from Louisiana, Canada, the Caribbeans, and France. A systematic examination of Lomax’s Papers will allow to find out if later in his career he still mentioned the Indiana, and Michigan French materials he gathered, and if he used them in comparison to other French materials or not. One can for instance wonder why he choose to record new French-language songs in Montreal, Canada, for his January 1941 CBS radio broadcast dedicated to the “voyageurs songs” instead of using his 1938 field recordings, even though he mentioned the Vincennes French colony in the show transcript2. Maybe Northern United-States French-American presence is already overshadowed by the weight of close neighbor Quebec in the North and Louisiana in the South who both have strong cultural footprints in the representation of French-America.
Finally, this project could extend into a comparative study between Lomax’s and French researchers’s collecting methods. In fact in 1946, shortly after Lomax’s foray in Indiana and Michigan, French folklorist Ariane De Félice collected French-language folktales in Louisiana, Michigan’s Upper Peninsula and New England on behalf of the Paris Musée des Arts et Traditions Populaires. I would like to compare the type of materials she gathered with Lomax’s collection, analyze their respective methodologies, and look into the way they conceived these materials in regards to their different epistemological outlook.
From the 1950’s on, Lomax would frequently work with French researchers. His association with the aforementioned MNATP, and the Musée de l’Homme were he worked closely with Claudie Marcel Dubois and Gilbert Rouget for several months must have had an impact on his representation of international French-language music which should be looked for in his correspondence with French colleagues.
While the MNATP was exclusively concerned with folklore from France, the Musée de l’Homme was dedicated to the study of geographically distant cultures (often in former French colonies). It would be interesting to investigate the place of French-American musics within this institutional divide, and how French researchers considered them. A study of the joint work of Lomax, Rouget, and Marcel Dubois regarding French-language musics could greatly enrich our understandings of folklore expertise exchanges between France and the United-States.
Despite a growing interest in the history and culture of French-speaking populations in Northern United-States, especially on behalf of the American Folklife Center3, Alan Lomax collectings in Indiana and Michigan remain relatively unknown to specialists and general audience alike. While the Michigan materials4 are already available online, those from Indiana have not been digitalized yet. An online presentation that would show digitalization of Lomax’s Indiana and Michigan French-American materials together with background informations could help foster other research, and popularize this fascinating field. This work could be a preliminary stage for a publication under the auspices of the Association for Cultural Equity/ACE and the American Folklife Center.
The work of Alan Lomax still lives among singers and musicians in various countries and cultures. As an extension of this academic research, I would also like to contribute to this legacy as a musician by adapting and performing those songs for American as well as French audiences.
1Alan Lomax corresponded with Berry shortly after he came back from Vincennes, asking her if she could help obtaining accurate transcriptions of Caney’s songs (Alan Lomax to Cecilia Ray Berry, september 25, 1939. AFC 1938/004).
2Lomax, Alan. Alan Lomax Collection, Manuscripts, CBS, -1941, American School of The Air, Wellsprings of Music. 1941. Manuscript/Mixed Material. https://www.loc.gov/item/afc2004004.ms040102/.
3For instance through the 1991 Maine Acadian Cultural Survey : https://www.loc.gov/folklife/guides/map.html, and the organization of concerts of Daniel Boucher and Friends in 2011 and of Denis Stroughmatt French Creole of Mississippi in 2012.
4All the Michigan 1938 Expedition are accessible online : https://www.loc.gov/folklife/lomax/michiganproject.html