mardi 31 juillet 2012

Petit point d'historio...

Voici quelques lignes pour faire le point sur la place de Sidney dans l’historiographie américaine. Alors que totalement inconnue en France, la collectrice a déjà fait l’objet de plusieurs travaux de recherche outre-Atlantique. Malgré tout, elle reste une figure relativement peu connue, surtout si l’on compare sa notoriété à celle de son célèbre collègue Alan Lomax par exemple.

Catherine Hiebert Kerst est spécialiste de l'histoire de la collectrice. Membre de l'équipe du Folklife Center de la bibliothèque du Congrès, elle a participé à l'organisation du fond d'archive de Robertson et créé le site internet dédié à ses collectes en Californie ( http://memory.loc.gov/ammem/afccchtml/cowhome.html). En plus de son travail d'archiviste, elle est l'auteur  de plusieurs articles analysant avec beaucoup d'acuité l'apport du travail de Robertson dans les études du folklore Nord-Américain ( voir la biblio). En 1980, Brett Topping a réalisé un essai sur la collection de la bibliothèque du Congrès documentant la vie et le travail de SRC, et dans son « web mémoire » mis en ligne en 1999, Stanley Eskin, fils du collecteur et chanteur folk Sam Eskin, dresse un tableau haut en couleur de Robertson, que son père a bien connu. On trouve également des informations sur les collectes de SRC dans le Midwest, dans l'article de Nicole Saylor publié en 2004 sur le site de l'Université du Wisconsin-Madison.

Plus récemment, en 2009, Peter Stone a produit un court essai sur le couple Cowell et Deirdre Ni Chonghaile a consacré à SRC un chapitre entier de sa thèse soutenue en 2010 sur les collectes des musiques traditionnelles de la région d'Aran ( Irlande). Enfin, Robertson est mentionnée dans les travaux de C. Rahkonen (2003), P.Gough (2009), A.M. Pescatello (1992), J. Warren-Findley (1979), J.P Leary (2007) et P.Garland ( 2006).
L’historiographie concernant sa carrière de collectrice et ethnomusicologue reste malgré tout assez limitée, l’impact de son travail - tant dans les travaux consacrés à l’histoire des disciplines folkloriques et ethnomusicologiques nord américaines, que ceux traitant de l’histoire culturelle des années de l’entre-deux guerres - a été largement minoré voire totalement ignoré par certains chercheurs. Son travail est pourtant extrêmement précurseur, d'éminents folkloristes à l'instar de Joseph C. Hickerson l'ont loué , reconnaissant le caractère novateur de ses collectes, en particulier concernant les musiques ethniques pratiquées aux États-Unis.

Selon Deirdre Ni Chonghaile, au moins trois facteurs peuvent expliquer la marginalité de SRC. Tout d’abord, le fait d’être une femme a joué un rôle important dans la réception de son travail. Deirdre Ni Chonghaile avance que « Sidney est en fait une des nombreuses collectrices de musiques dont la contribution à l’éthnomusicologie a été historiquement sous-estimée». Beaucoup de femmes ont collecté aux États-Unis, en particulier dans les années 1930, mais la plupart d’entre elles restent encore trop souvent dans l'ombre de leurs homologues masculins.

La deuxième raison invoquée par Deirdre Ni Chonghaile est la radicalité de ses opinions concernant les méthodes de collectes. Ces dernières entreraient en conflit avec celles de ses pairs. Ses relations complexes, parfois même conflictuelles, avec le compositeur et théoricien Charles Seeger, pour qui elle travaille en 1936-1937, offre un bon exemple de cette situation. Ann M. Pescatello, dans sa biographie de Charles Seeger, aborde leur collaboration à la RA de manière très unilatérale: seuls les propos de SRC favorables à Seeger sont cités par l’auteur. Elle omet les nombreuses lettres où Sidney lui reproche de s’attribuer le mérite de son travail, d’avoir une approche parfois mercantile et de ne pas maîtriser les réalités du terrain. De plus, selon Pescatello, la rencontre entre Seeger et Robertson aurait surtout bénéficié à cette dernière, alors que récemment on voit poindre l'idée que Robertson aurait également influencé le travail et les théories de Seeger.  

Enfin, troisième raison de sa marginalité, le coup de frein mis à sa carrière par son mariage avec le compositeur avant-gardiste, Henry Cowell, en 1941. Cowell est un compositeur très important qui développa dans les années 1930 un jeu de piano excentrique, notamment la technique du « tone clusters » produisant des accords en jouant avec son avant bras. Sidney Robertson l'épouse peu de temps après qu'il ait purgé 4 ans de prison pour homosexualité à la prison de San Quentin. Durant les années suivantes, elle consacre de plus en plus de son temps à aider le compositeur dans ses entreprises de publication, ce qui impacte grandement son travail personnel. Elle continuera néanmoins à mener des campagnes de collectes, notamment en Europe et en Asie.  Peter Stone constate que: « Les artistes masculins tendent à être mieux connus que leurs femmes, même si ces dernières ont mené des carrières remarquables, et les compositeurs tendent à être mieux connus que les musicologues. Même si cette situation est en train de changer, c'est toujours le cas pour Sidney William Hawkins Robertson Cowell (...) ».

J'ajouterais qu'en ce qui concerne ses collectes des années 1930, la marginalisation de SRC dans l'historiographie est également due au fait qu'elle ait travaillé au sein de deux agences newdealienne n'ayant pas reçu une grande attention de la part des historiens. Les programmes musicaux de la Resettlement Amdinistration ont été relativement peu étudiés, les historiens et historiens de l'art s'étant plutôt intéressés aux réalisations du programme qui lui succède, la Farm Security Administration, et notamment à son immense campagne photographique dirigée par Roy Stryker. L'existence très brève de la RA, sa radicalité et son incapacité par faute de moyen à remplir ses objectifs expliquent probablement son historiographie lacunaire. Le Federal Music Project est, quant à lui, le moins étudié des quatre projets artistiques de la Work Progress Administration. Plusieurs facteurs sont responsables, en premier lieu les historiens ont longtemps considéré que ce programme n'était pas assez radical, ce qui a de fait éloigné tous les chercheurs intéressés par l'étude des politiques radicales du New Deal. L'absence de personnalité charismatique est un autre facteur. Enfin, la nature flottante de l'expression musicale peut également expliquer pourquoi les historiens se sont plutôt concentrés sur les autres projets artistiques de la WPA.

Toujours en travaux, la Sidney’s bio devrait bientôt arriver, patience donc !
N’hésitez pas à me laisser vos commentaires, sur la forme comme sur le fond ! Pour une grande novice comme moi, il est essentiel de recueillir vos impressions pour rendre ce blog agréable à lire !

2 commentaires:

  1. et bah voilà ! j'commence à cerner un peu l'personnage !

    tu m'avais dit qu'elle était également dans l'ombre d'une collecteuse afro-américaine qui avait suscité bien plus de travaux de recherche. c'était quoi son nom ?

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  2. Ah c'est Zora Neale Hurston, faut dire qu'il y a de bonnes raisons à ça: c'est la première femme Africaine-Américaine à obtenir un doctorat d'anthropologie. Elle était l'élève de Franz Boas et Ruth Benedict, et a bossé avec Langston Hughes et Alan Lomax. Elle a aussi écrit de super romans, j te les passerai si tu veux. ( dsl de pas avoir répondu plus tôt, j'viens juste de voir ton commentaire !!)

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